CHANGER PASSE AUSSI PAR LE CORPS
🧭 Comment faire pour changer profondément ?
=> Comprendre le rôle du corps et de la psychomotricité dans le processus de transformation intérieure
Changer. Un mot simple, mais un chemin souvent complexe.
On veut “changer de comportement”, “changer de regard”, “changer de vie”… mais on se heurte parfois à une étrange résistance : quelque chose en nous reste attaché à l’ancien, même quand on comprend intellectuellement qu’il faudrait faire autrement.
Pourquoi ? Et surtout : que devons-nous faire pour changer profondément ?
Cet article vous propose une exploration à la lumière de la psychomotricité, discipline du lien entre corps, émotions et pensée.
Psychomotricité Lille
1️⃣ Changer : un processus global, pas seulement mental
On pense souvent que le changement dépend de la volonté : “si je veux, je peux”.
Mais la réalité humaine est plus subtile.
Nos comportements, nos réactions et même nos pensées sont le fruit d’un équilibre corporel, émotionnel et symbolique construit au fil de nos expériences.
Nos façons d’être — de se défendre, se relier, ressentir, décider — s’enracinent dans une histoire vécue.
Elles traduisent la manière dont notre corps a appris à se réguler, à se protéger, à entrer en contact avec le monde.
La psychomotricité considère donc que pour changer durablement, il faut revisiter ce vécu corporel et relationnel, pas seulement “penser différemment”.
2️⃣ D’où viennent nos manières d’être ?
Il y a trois domaines en interaction constante dans notre manière de nous appréhender nous-mêmes et le monde:
1.Notre équipement de base : nos particularités physiologiques, neurologiques, biologiques.
2.Notre environnement : les contextes dans lesquels nous évoluons, nos figures d’attachement, l’environnement affectif et sensoriel.
3.Nos expériences vécues : ce que nous avons ressenti, pu faire, voulu faire et ce que nous en avons tiré comme façon de voir le monde et nous-mêmes.
Au croisement de ces dimensions se construit notre représentation de nous-mêmes, des autres et du monde.
Cette représentation — souvent inconsciente — influence nos postures, nos émotions et nos choix.
Exemple :
Une personne qui a souvent vécu des situations d’insécurité émotionnelle peut développer une hypervigilance corporelle : muscles tendus, respiration haute, difficulté à se détendre. Même si elle veut “lâcher prise”, son corps reste en mode protection.
Changer, c’est alors reconstruire un sentiment de sécurité pour que le corps autorise un autre mode de fonctionnement.
3️⃣ Le modèle T.S.A.R : tonus, sensations, affects, représentations
En psychomotricité, je parle souvent du bloc T.S.A.R. que j’ai découvert dans les ouvrages de Suzanne Robert Ouvray:
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Tonus : la tension musculaire , la posture, la corporalité qui traduit notre état interne.
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Sensations : nos perceptions corporelles fines (respiration, contact, appuis, équilibre…).
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Affects : les émotions qui colorent nos vécus.
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Représentations : ce que nous nous disons, nousreprésentons de nous et du monde.
Ces quatre aspects sont en interaction permanente.
Modifier l’un, c’est influencer les autres.
👉 Ainsi, travailler corporellement (par le mouvement, la respiration, le contact, la régulation tonique) et y mettre du sens et des mots permet d’agir indirectement sur les émotions et les représentations.
C’est tout le sens du travail de la psychomotricienne : accompagner le changement à travers l’expérience vécue du corps.
4️⃣ Pourquoi la volonté seule ne suffit pas
Nous avons tous déjà dit : “je ne veux plus réagir comme ça”, ou “je sais que je devrais faire autrement”…
Mais malgré cette conscience, les anciens réflexes reviennent.
C’est que la mémoire du corps est aussi à prendre en considération.
Elle contient des schémas sensorimoteurs et émotionnels appris bien avant que la pensée consciente ne se construise.
Pour que le changement soit durable, il faut que ces mémoires soient recontactées, intégrées et réorganisées dans un cadre sécurisant.
Autrement dit : le corps doit vivre de nouvelles expériences qui remplacent ou enrichissent l’ancien, qui offrent de nouvelles représentations de soi et du monde.
C’est ce que la psychomotricité rend possible : un espace où le corps peut ressentir autrement, dans une relation soutenante, pour que de nouveaux liens se tissent entre le ressenti, le vouloir, le pouvoir et le savoir.
5️⃣ Les quatre piliers du changement
Le changement s’appuie sur la restauration du lien entre quatre dimensions :
1. Percevoir et ressentir
Revenir aux sensations, repérer comment le corps réagit, écouter les signaux internes.
C’est retrouver une forme de présence à soi.
2. Pouvoir
Explorer ses capacités d’action : bouger autrement, respirer différemment, expérimenter un geste nouveau.
C’est l’expérience de la compétence et du possible.
3. Vouloir
Donner du sens à ce que l’on fait, relier le geste à l’intention.
Le “vouloir” émerge souvent spontanément quand le “pouvoir” redevient accessible.
4. Savoir
Mettre en mots, comprendre, symboliser l’expérience.
Le sens naît de l’intégration de tout ce qui a été vécu.
Quand ces quatre pôles communiquent, le changement devient vivant et cohérent : il s’incarne, au lieu de rester une idée.
6️⃣ Changer, c’est aussi restaurer du lien
La psychomotricienne accompagne souvent les personnes vers un ré-enracinement corporel.
Cela passe par des médiations variées : mouvement, relaxation, toucher thérapeutique, jeux sensoriels, travail du tonus, conscience corporelle, etc.
Mais l’essentiel, c’est la relation.
C’est dans la qualité du lien que le corps peut se sentir en sécurité pour expérimenter autrement .
Le changement profond naît donc de deux ingrédients essentiels :
-
Une relation sécure et bienveillante,
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Un vécu corporel nouveau et signifiant.
7️⃣ Quand le système “bugge” : les vécus traumatiques
Certaines expériences ont mis en jeu notre intégrité physique ou psychique.
Ces “vécus traumatiques” peuvent laisser une trace : une partie de nous reste figée dans une logique de survie.
Le corps évite alors certaines sensations, certains ressentis, émotions. On ne sent plus vraiment ce qui se passe en soi. A contrario ou en parallèle, une hyper-réactivité neurovégétative peut être présente. Elle peut se traduire par une hypervigilance aux perceptions externes et internes.
-> L’accompagnement en psychomotricité peut participer à la prise en soins, pour permettre à terme à la personne de ré-intégrer l’expérience vécue comme quelque chose de passé. MAIS ATTENTION, ce travail autour de la « mémoire traumatique » (travaux de Muriel Salmona) nécessite avant tout un accompagnement avec un.e psychiatre, psychologue ou psychothérapeute formé.e en psychotraumatologie.
-> La psychomotricité vient en complémentarité. L’accompagnement vise à retrouver de la sécurité dans l’écoute du corps, à réapprivoiser ses sensations, à mettre en mots son vécu. Ce travail demande du temps et nécessite d’être accompagné.e sur plusieurs plans (psychologue, psychiatre). Les mécanismes de défense ont une raison d’être et travailler ensemble est essentiel pour accompagner sereinement et durablement.
8️⃣ Les conditions d’un vrai changement
Changer profondément demande :
🌿 Du temps — le corps a son propre rythme d’intégration.
💬 De la mise en mots — comprendre ce que l’on vit pour le symboliser.
🤝 De la sécurité relationnelle — c’est ce qui permet d’oser se transformer.
⚙️ De la répétition — de nouvelles expériences doivent s’ancrer par la pratique.
Ce processus n’est pas linéaire : il alterne des phases de mouvement et de pause, d’ouverture et de résistance.
Chaque étape a du sens.
🔎 En résumé
| Pour changer profondément | Il ne suffit pas de… | Il est nécessaire de… |
|---|---|---|
| Comprendre avec la tête | “penser autrement” | Ressentir et symboliser différemment |
| Se forcer à agir | “faire plus” | Explorer le mouvement et la sécurité corporelle |
| Vouloir contrôler | “tenir bon” | Accueillir, réguler, intégrer |
| Chercher à “être quelqu’un d’autre” | “gommer l’ancien” | Relier les parts de soi et s’élargir |
🔚 Conclusion : changer, c’est élargir sa palette d’être
Changer profondément, ce n’est pas devenir quelqu’un d’autre,
c’est redevenir plus complet.
C’est passer de :
“je suis comme ça”
à
“je suis aussi ça, et ça, et encore ça…”
Le corps est le lieu de cette évolution : il garde la mémoire du passé, mais il est aussi le terrain du possible.
À travers la psychomotricité, on apprend à écouter ces traces, à les transformer en ressources, à se sentir à nouveau vivant dans sa manière d’être en lien.
Changer, c’est avant tout retrouver la liberté d’éprouver, d’agir et de penser autrement.
Katia Demolin _ Psychomotricienne à Lille
lillepsychomot@gmail.com